La rivière

Je nous revois enfants au bord de la rivière
Cherchant pendant des heures des bêtes sous les pierres
L’eau glaçait nos pieds nus, courait comme un serpent
Dans les trous plus profonds, nous plongions en riant

Quand on ne voyait plus, dans l’eau sombre nos lignes
Maman nous appelait du haut de la colline
La bouche noire de mûres, nous traînions en chemin
Parlant des truites perdues que l’on prendrait demain

Quand je nous imagine, éblouis de lumière
Attentifs aux vairons qui glissent entre nos doigts
Je vois le temps qui fuit dans l’eau de la rivière
Comme les poissons vifs qui glissent sous les pierres

Pendant que nous volions ces heures d’insouciance
Ivre de ces plaisirs si profonds de l’enfance
Seule dans ta cuisine tu pleurais doucement
De n’être plus toi-même une petite enfant

Le temps était pour toi un fantôme maudit
Nous n’avions pas dix ans, tu nous croyais partis
Déjà devenus grands, si loin de tes baisers
Tu nous voyais perdus, tu te sentais volée

Comment l’aurions-nous su et qu’aurions-nous pu faire
Nous étions prisonniers de l’eau de la rivière
Et quand on s’échappa de ce rêve éveillé
Toi, tu n’étais plus là, tu nous avais quittés

Je suis passé ce soir au bord de la rivière
Ou nous cherchions enfants des bêtes sous les pierres
J’ai plongé mes deux mains dans l’eau froide et sombre
É garant mon chagrin comme un poisson dans l’ombre

J’ai plongé mes deux mains dans l’eau froide et sombre
É garant mon chagrin comme un poisson dans l’ombre

L'ombre du couloir

J'avais les mains rouges d'avoir trop traversé
Le ciel et les campagnes qui s'ouvraient sous nos pas
On allait par les routes, on ne mourrait jamais
Ô chansons noires de boue et de grands ciels noyés
Les jours étaient si sombres qu'on ne les voyait pas

J'avais les mains rouges et dans les rires des femmes
Je voyais les morts qui sortaient de la terre
Dans les villes désertes, on rencontrait parfois
Des enfants aux mains sales qui n'avaient plus de doigts.

De l'aube au crépuscule, on marchait sur les routes
Les chiens même avaient peur et fuyaient en hurlant
Tête basse je voyais dans les flaques de sang
Vaciller ton fantôme et l'ombre de mes doutes

Te souviens-tu du jour où debout sur la table
Je récitai ces vers que tu avais écrits
Tout pétris de colères et d'insultes infâmes
Du haut de tes seize ans tu suais de mépris
Je revois ton regard qui brille étrangement
Le rouge sur tes joues, l'effroi de tes parents

Alors tu m'entraînas dans l'ombre du couloir
Et pour me remercier de leur faire cet outrage
Avec des doigts tremblants, tu défis ton corsage.
Ô garce cousue d'or et d'envies sans mesures
Quand tu ôtas ta robe et ouvris ta blessure
Avec des petits râles et des ruses de renarde
Tu comptais bien sur moi pour n'être pas de marbre.

Pourquoi est-ce aujourd'hui parmi les tristes morts
Qui dorment au soleil la bouche remplie de mouches
Que ce couloir revient et l'odeur de ton corps
Dans ma mémoire en feu, je te vois, je te touche

J'ai connu tant de femmes, embrassé tant de lèvres
Mais de ces draps défaits j'ai la mémoire froide
La terre sous mes pas n'est plus qu'un cimetière
Je veux que tu reviennes du fin fond de la grève

Viens danser avec moi dans ces brumes glacées
Le triste carnaval des souvenirs amers
Viens danser avec moi dans l'ombre du couloir
Ou je glisse sans fin dans ce trou mémoire

Je te donnerai tout, ma folie et mes peurs
Les enfants qui hurlent et le poison des fleurs
Les hommes qui se taisent quand ils marchent sans fin
Les forêts en automne, les oiseaux et les chiens
Les grands yeux des cadavres à l'étal des trottoirs

Je te donnerai ma honte et le poids des chagrins
Si tu reviens pour moi dans l'ombre du couloir
Si tu viens me chercher pour que je dorme enfin
Le cœur sur ta poitrine et mes mains dans tes mains.


Le miroir

Alors que l'empereur regardait le miroir
Qu’une servante aveugle installait devant lui
Il aperçut son crâne qui s’ouvrait comme un fruit
Le sang coulait à flot et lui voilait la face
Sa tête n’était plus qu’une fleur écarlate

C’est du moins ce qu’Alice, penchée sur un gros livre,
Volé en grand secret dans la bibliothèque
Découvrit en tremblant à la lueur d’une lampe
Qui jeta sa lumière sur la page suivante

Ô noble empereur ne fermez pas les yeux
Dans ce miroir secret, vous allez enfin voir
Les rivières pourpres, les diamants solitaires
Le creux des coquillages et les mâts des navires
Les neiges éternelles dans le ventre des filles.

Si vous avez vraiment du sang noir dans les veines
Vous connaîtrez bientôt l’étreinte des sirènes,
Le souffle si puissant du cyclope endormi
Vous toucherez le sexe des anges infinis
Qui offrent du nectar et du vin d’ambroisie

Alice ne vivait plus, la sueur à son front
Lui faisait des envies de larmes et d’abandon.
Elle aurait tant voulu se fondre dans les lignes
Qui traçaient sous ses yeux ces promesses sublimes

L’empereur lui-même était pris dans le piège
Lorsque derrière son dos la méduse aux yeux blancs
Comme un vilain serpent se coula vers son siège
Puis se glissa en lui et l’embrassa si fort
Qu’il ouvrit des yeux vides, ainsi qu’un poisson mort

Alice ferma son livre et se retrouva seule
Dans une chambre sombre au milieu de la nuit
Elle chercha longtemps tout au creux de son lit
Une prière souveraine qui changerait sa vie.

 

La vitrine

Pour ces enfants avides, qui frôlent ma vitrine
Je me déguiserai en pieuvre vipérine
Et je simulerai les spasmes du malheur
Au fond d’un ventre mort j’épongerai leur cœur

Pour ces enfants bizarres, qui lèchent ma vitrine
J’offrirai aux morsures l’écran de ma poitrine
Dans un miroir sans tain, je chercherai les regards
De ceux qui quand ils voient se cachent dans le noir

Pour ces enfants perdus que leur désir déroute
Qui ne songent au remord qu’une fois sur la route
Je feindrais même la mort si la mort leur plaisait
Pour qu’ils reviennent encore cracher au bassinet

Pour ces enfants inquiets, qui hantent ma vitrine
J’ai bâti cette tour que l’ivoire leur destine
Quand la rumeur du monde et ses fruits de malheur
Les poussent à la honte et leur fait trop peur

Le fantôme

Je m’en vais loin dans la nuit
Je m’en vais sans faire de bruit
Mort vivant qui parle et qui rit
Je m’en vais pourrir ta vie

Le fantôme dont j'avais peur
C'était moi sous tes doigts
Quand mon plaisir et ma douleur
Buvait la coupe de tes émois

On s'est aimé à fleur de peau
Avec des rires dans les étreintes
Mais tes caprices de bourreau
Sont devenus mon labyrinthe

Le fantôme dont j’avais peur
Je l'ai croisé dans ton regard
Quand pour trouver ton bonheur
Tu m’enivrais de cauchemars

Tu m'as aimé du bout des doigts
Du bout des doigts

Je m’en vais loin dans la nuit
Je m’en vais sans faire de bruit
Mort vivant qui parle et qui rit
Je m’en vais rêver ma vie

Petits plaisirs (inédit)

Qui dira l’amour du greffier
Pour le chant discret de la plume
Quand elle pleure au fil du papier
Un sang noir qui brille sous la lune

Qui dira le bonheur des larmes
Que l’on boit au bord des lèvres
Offrant à la douleur le charme
D’un petit plaisir salé et mièvre

Qui dira le trouble du boucher
Quand s’ouvre la viande sous sa lame
Et que glisse son couteau affilé
Entre les flancs rouges qui se pâment

Qui dira le plaisir de mes orteils
Au sortir du dernier sommeil
Quand s’ouvrent mes pieds en éventail
Et que s’allongent mes doigts vers le ciel

Qui dira la jouissance de mes yeux
Lorsque tombe la neige dans la nuit
Et qu’au plus profond d’un grand lit
Nous dormons comme des amoureux

Monsieur Dupond (inédit)

Monsieur Dupond est sympathique
Il déteste les ploucs et les flics
Même s’il en faut c’est nécessaire
Pasque sans eux ce serait la guerre

Monsieur Dupond est sympathique
Il aime le foot, les matches épiques
Les courses d’auto, les films d’horreur
C’est tellement beau qu’il en pleure

Ah ! Monsieur Dupond n’est pas un con
C’est bien son droit c’est bien son chic
Il soupçonne ses voisins d’être communistes
Quand il les voit, il est triste

Monsieur Dupond est sympathique
Joue au tiercé, parle politique
Il hait les dictateurs et les tortionnaires
Qui engendrent la terreur et la misère

Monsieur Dupond est sympathique
Il aide les pauvres dans les banlieues
Il travaille fort, il a la trique
Pour un peu il se prendrait pour Dieu

Ah ! Monsieur Dupond n’est pas un con
C’est bien son droit c’est bien son chic
Il soupçonne ses voisins d’être fascistes
Quand il les voit, il est triste

Monsieur Dupond est sympathique
Ses idées font de la gymnastique
Pour ce qui est d’avoir des opinions
Monsieur Dupond est un champion

Il tourne à gauche il vire à droite
Il a même pas les mains moites
Quand souffle le vent de la révolution
Y sait bien que ça finira en chansons

Ah ! Monsieur Dupond n’est pas un con
C’est bien son droit c’est bien son chic
Il soupçonne ses voisins d’être anarchistes
Quand il les voit, il est triste

 

 

Véronique

Avec ton visage d’ange, qui monte au calvaire,
Avec tes veines ouvertes en rivières de sang
Avec ta peau blanche et tes mains solitaires
Véronique, je sais que tu me mens

Avec cet air coupable que tu prends pour me plaire
Avec ta bouche, qui boit la fièvre de mes lèvres
Lorsque ta peau invente que mes mains sont aveugles
Véronique, je sais que tu me mens

Puisque tu meurs dix fois sans jamais mourir
Puisque tu aimes le deuil et désires souffrir
Puisque de tes mensonges tu me veux pénitent
Véronique, aujourd’hui je te prends

Avec tes fleurs secrètes, qui grimpent sur les murs
Véronique en corolle, étrange calice d’azur
Dont les beaux fruits amers éclosent avec l’été
Véronique officinale qui croît à l’ombre des vergers
Je veux boire tes liqueurs et mourir un peu
Ivre de tes parfums, à l’ombre de tes yeux

Véronique des sous-bois, blancheur de lys nocturne
Tu t’es couchée sur moi sous la froideur de la lune
Belle morte blafarde et nue comme une rose
Aux frontières d’un désir que plus personne n’ose
Sinon la mort elle-même quand elle se veut exquise
Véronique je meurs, parce que tu agonises

Je veux boire le sang qui coule dans tes veines
Ce beau fleuve capiteux que le plaisir entraîne
Vers des rivages sombres, vers un suicide tendre
Véronique prends-moi dans la nuit de ton ventre

 

Sophie

Sophie la jolie Sophie se réveille
Se mire le minois sous le soleil
Se trouve en forme comme une abeille
Que son dard chaque jour émerveille

Sophie la jolie Sophie, appareille
Dans la cour du Lycée de Créteil
Elle creuse les reins feint le sommeil
Pour un moineau qui la surveille

La jolie Sophie est rayonnante
Cheveux d’or, yeux en amande
Elle s’étonne de devoir attendre
L’amant qui se laisserait prendre

Sophie la jolie Sophie est dépitée
Ses gestes de serpents si étudiés
Ses furtives promesses de nudité
Son lettre morte car c’est congé

Sophie la jolie Sophie est fâchée
Elle a bien envie de se recoucher
Pour nous punir du gaspillage
Des plus beaux talents de son âge

Soleil noir

Quand le jour est fini
Quand le sourire s’en va
Petite sœur, mon amie
Ne m'abandonne pas
Je vois le soleil noir

Quand je cueille la nuit
Des bouquets de chagrin
Sur ton corps endormi
Dans l’ombre du jardin
Je vois le soleil noir

Quand les oiseaux se sont tus
Quand tu ne bouges plus
Quand le collier de tes bras
Ne me protège pas
Je vois le soleil noir

Il me prend par la main
Il se glisse dans mon âme
Infusant son venin
Par les trous de mon crâne
Je vois le soleil noir

Petite sœur, mon amie
Quand tu es endormie
Dans le silence des draps
Quand tu ne le sais pas
Je suis le soleil noir
Je suis le soleil noir

L’origine du monde (hommage à Courbet)

C’est une fleur étrange qui pousse au fond des bois
Cachée près d’une source, elle rêve d’un roi
Qui l’emmènerait un jour au fond d’un grand jardin
Ou elle deviendrait reine caressée par ses mains

C’est une fleur timide cultivée en secret
Par les doigts d'une fée, qui a des yeux de feu
Les mâles qui la voient prennent un air niais
C’est une fleur mystique qui les pousse aux aveux

C’est une fleur qui donne et la vie et la mort
Qui mange ses amants en leur offrant de l’or
Moins ceux-ci la possèdent plus ils l’imaginent
Brillante de rosée, tremblante d’étamine

C’est une fleur savante qui cache des enfants
Sous ses pétales roses dans son amour troublant
Qui connaît l’art du temps et des métamorphoses
C’est une fleur qui sait le grand secret des choses


Ma ville

Je crachais des injures comme un enfant méchant
Ramasse des cailloux pour agresser les gens
Je brisais les carreaux j’aimais tant les étoiles
Le son clair au soleil des vitres qui s’étoilent

J’avais l’amour secret des escargots baveux
Des carabes dorés qui grouillent dans le feu
Je rêvais de morsures et de monstres marins
Je voulais vivre seul et veule comme un chien
(Je voulais vivre seul et) veule comme un chien

Je méprisais l’amour et traînais dans les rues
Avide de ces femmes qui sont à moitié nues
Beaux fruits d’infortune pour enfants solitaires
Effroi dorés des corps effarants de mystère

Mon père m’ignorait comme on ignore une mouche
Je me souviens qu’aux insultes que vomissait ma bouche
Il ne répondait rien et regardait sa montre
Mon père avait le goût de ne jamais répondre
Mon père avait le goût de ne jamais répondre

Je hurlais ma colère à la face des gens
Je leur ouvrais mes plaies avec des doigts tremblants
Gourmand de leur pitié, sournois comme une fille
Je les voulais coupables, stupéfaits de bêtise.

Ah! Que j’ai haï l’école du malheur
Où je suais de rage devant l’instituteur
Sur l’estrade exhibant et ma honte et ma peur
Je l’aurais voulu mort, étouffé de tumeurs
Pourrissant au soleil de ma mauvaise humeur

Le temps a bien passé depuis ces années noires
Mais je garde en secret au fond de ma mémoire
Le goût de ma douleur, l’odeur de la souffrance
Qui m’a tenu vivant, le cœur si peu tranquille
J’habite mon enfance comme au cœur d’une ville

Le folk de la fatigue (inédit)

Pour vous, je m’suis tatoué
Et les cuisses et les fesses
De dragons hurlants
De curieuses déesses
Pour vous j’ai porté
Des robes de princesse
De grandes bottes rouges
Et une paire de tresses

Refrain:
C’est le folk de la fatigue
La vie est compliquée
C’est le folk de la fatigue
Et je suis fatigué

Pour vous j’ai mangé
Le chien d’une comtesse
J’ai tout avalé
Et la queue et la laisse
Vous aviez fait venir
Le ministre et la presse
Qui voulaient me punir
De mon manque de tendresse

Refrain:
C’est le folk de la fatigue
La vie est compliquée
C’est le folk de la fatigue
Et je suis fatigué

Pour vous j’ai butiné
Trois belles diablesses
Qui m’ont tellement usé
Le fond du tiroir-caisse
Le cœur et la prostate
J’mens pas j’constate
Qu’il a fallu trois messes
Pour mettre fin à cette ivresse

Pour vous je changerai
Cent mille fois de veste
Pourvu qu’à l’arrivée
Vous m’laissiez faire la sieste
C’est promis, je deviendrai
Sérieux comme une papesse
Prospère comme un boucher
Humide comme une pécheresse
Traître comme un dentier
Docile comme une tigresse
Et si même vous voulez
Je vous refilerai la peste

Refrain:
C’est le folk de la fatigue
La vie est compliquée
C’est le folk de la fatigue
Et je suis fatigué